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Un fermier souhaitant prendre sa retraite parvient à céder son bail à son fils grâce à une action devant le tribunal paritaire des baux ruraux (CAJ Loire)

25/03/2014

Lorsqu'un agriculteur souhaite prendre sa retraite et transmettre son exploitation, se pose souvent la question du devenir des terres louées. Le Code rural prévoit une exception à l’interdiction de céder les baux en ferme et réserve au fermier cette possibilité, mais uniquement au bénéfice du conjoint marié, du partenaire pacsé ou du descendant, et à condition d’obtenir préalablement l’accord expresse du bailleur (article L.411-35 du code rural).

Que faire lorsque celui-ci refuse ? La cession peut-être autorisée par le Tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR)  : voici l’exemple d’une situation accompagnée par le CAJ  de la Loire.

Marc  est producteur laitier depuis 1972. En 2005, son fils Yves s'installe avec lui et ils créent un GAEC (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun) qui exploite aujourd'hui une cinquantaine d’ha. Marc arrive à l'âge de la retraite et son épouse, beaucoup plus jeune, qui est aujourd'hui conjointe collaboratrice, souhaite devenir exploitante à sa place dans le GAEC.

Marc souhaite céder les baux dont il est titulaire à son fils. Il en avertit les propriétaires par courrier en leur demandant leur accord écrit. Trois d'entre eux répondent qu'ils refusent cette cession alors qu’ils ne sont pas agriculteurs et ne projettent pas d’exploiter eux-mêmes. Ces trois bailleurs sont en fait les héritiers du propriétaire avec lequel Marc avait initialement signé le bail, qui s’est divisé suite au décès.

Devant ces refus, Marc contacte le CAJ. Nous lui conseillons immédiatement de ne pas cesser d'exploiter, de rester titulaire de ces baux et de saisir le TPBR pour demander l’autorisation de cession. En effet, il était très important que Marc diffère sa prise de retraite et continue d’exploiter jusqu’à la décision du tribunal, sinon il s’exposait à une action en résiliation du bail par les bailleurs sur les motifs d’abandon du bien ou de cession illégale.

Après deux audiences de conciliation infructueuses, le tribunal fixe une audience de jugement. Le CAJ travaille avec Marc et Yves pour préparer et écrire l’argumentation. J’ai assisté Marc lors des audiences pour les débats à l’oral.

Dans son jugement, le TPBR accède à toutes les demandes de Marc et ordonne la cession des trois baux à Yves. En effet, le tribunal a considéré que les conditions de l’article L. 411-35 du Code rural étaient réunies pour autoriser la cession et que celle-ci ne nuisait pas aux intérêts légitimes du bailleur : Marc a toujours été un fermier de bonne foi, son fils Yves a la capacité professionnelle et les moyens d’exploiter, il est en règle avec le contrôle des structures.

De plus, le tribunal rejette la demande des bailleurs de reprendre leur bien pour exploiter au titre de la parcelle de subsistance : ils n’ont pas délivré de congé, ils ne précisent pas sur quelle partie du bien serait prise la parcelle de subsistance limitée à un hectare, ils n’ont pas obtenu l’autorisation d’exploiter nécessaire pour exercer une reprise totale. Les bailleurs sont aussi condamnés à payer chacun 500 euros à Marc pour couvrir ses frais de défense.

Les situations ne sont jamais identiques et il importe donc de les étudier dans le détail. Cependant, on peut donner un conseil général : si un agriculteur fermier s’apprête à partir à la retraite et qu’il souhaite céder les baux à son conjoint ou son descendant, il faut d’abord qu’il obtienne l’autorisation écrite du bailleur ou l’autorisation judiciaire du tribunal. En attendant, le fermier doit poursuivre personnellement l’exploitation. C’est pourquoi il doit anticiper cette situation pour ne pas être contraint de repousser sa date de départ à la retraite.

Jean Crépinge, bénévole du Comité d'action juridique (CAJ) de la Loire